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Interview Michel Desvignes : “une rigueur qui oblige à innover”

Portrait Michel Desvignes
© Vincent Mercier et Studio Tangram

Michel Desvigne est peut-être le plus célèbre des paysagistes français. À Montpellier, Lyon, Paris, Londres ou Detroit, son agence enchaîne les opérations de requalification d’espaces publics. Cet amoureux de la « nature urbaine » connaît particulièrement bien Marseille. Il a déjà été fortement impliqué dans le réaménagement du Vieux-Port. Dans un esprit de continuité, il est à nouveau l’un des acteurs principaux de la requalification de l’hyper centre de la cité phocéenne.

Après avoir œuvré sur la piétonnisation du Vieux-Port, vous êtes de nouveau à la baguette pour la requalification du cœur de Marseille. En quoi, ces deux opérations sont-elles liées ?

Michel Desvigne : Le concours sur la semi-piétonnisation du Vieux-Port intégrait déjà une réflexion plus large sur les espaces publics de Marseille. Outre l’agence MDP, l’équipe qui a été retenue était composée de l’architect Norman Foster, des bureaux Tangram et Ingérop et de l’éclairagiste Yann Kersalé.

Notre proposition précisait que si le Vieux-Port devait être envisagé comme un espace minéral, à l’inverse, le centre-ville avait vocation à être beaucoup plus végétalisé. Nous avons alors développé le principe d’un « archipel arboré ». La minéralité du Vieux-Port était d’autant plus justifiée par une forte présence végétale dans les rues et places alentours.

Vue Marseille Vieux-Port
Crédit photo : Florent Joliot

Quelles sont les spécificités de ces quartiers ?

M. D. : Les rues autour du port sont étroites, probablement pour être à l’abri du vent. De plus, ces lieux de centralité sont très pratiqués. Sur ces espaces, à la fois très denses et très restreints, nous allons superposer une strate végétale conséquente.

 

Vous avez élaboré une charte de qualité urbaine. À quelles fins ?

M. D. : Cette charte pose des principes à long terme. Pour instaurer une permanence, les logiques ne doivent pas être trop nombreuses. Il faut donc affirmer quelques éléments de cohérence.

 

Quels sont ces choix ?

M. D. : Nous créons de l’unité en nous raccordant à l’existant. Les parcelles déjà requalifiées représentaient des entités spatiales que nous prolongeons afin qu’elles atteignent une taille significative.

On passe ainsi d’une rue requalifiée à tout un quartier. En toute logique, la volonté de continuité conditionne aussi le choix des matériaux. Par exemple, beaucoup de trottoirs avaient des pavés en calcaire. Pourquoi changer ? Sur le même principe, pour la piétonnisation de La Canebière, nous avons proposé que la nouvelle partie centrale soit en porphyre rose, en cohérence avec les matériaux des trottoirs conservés. Quant aux cours et boulevards, nous avons opté pour du granit gris. Les matériaux choisis sont bien évidemment adaptés aux conditions d’usage et d’entretien de l’espace public marseillais.

Une gamme harmonieuse a ainsi été élaborée. Cette clarification des principes garantit la lisibilité. Les partis pris sont simples mais l’ambition est immense. De plus, n’oublions pas que ces travaux s’accompagnent d’un plan de circulation modifié avec à la clé énormément plus de zones piétonnes.

 

Une requalification réussie s’inscrit donc forcément dans le long terme ?

M. D. : La permanence des espaces publics est extrêmement importante à mes yeux. Contrairement aux bâtiments qui peuvent avoir une vie assez courte, les espaces au sol doivent offrir un aspect intemporel. Cependant, notre démarche est autant rigoureuse que nuancée. Car il faut penser à la multiplicité, à la réversibilité des usages, aux travaux de voirie. Le sol est comme une peau avec sa rusticité, son épaisseur, son vécu. Il exige une écriture particulière, une approche qui autorise la pérennité dans le changement.

 

Vous insistez sur le fait que la transformation du centre-ville de Marseille passe tout d’abord par la création d’un « archipel arboré ». Beaucoup d’arbres vont donc être plantés ?

M. D. : On souhaite toujours en planter le plus possible. Mais nous devons intégrer des contraintes, laisser libre les accès, respecter les circulations et les réseaux… Il existe des obligations en terme d’exposition.

Les règles de composition végétale induisent également des contraintes formelles. Il ne faut trahir ni la typologie ni l’histoire d’une ville. Comme pour les matériaux, nous appliquons quelques grands principes et nous nous inscrivons dans la continuité. Par exemple, nous prolongeons jusqu’au Vieux-Port l’alignement de platanes de La Canebière, et ce, tout en veillant à préserver les perspectives. Par contre, dans les artères étroites, les arbres sont obligatoirement plus petits. Certaines rues imposent des choix esthétiques. La rue Caisserie, avec ses virages, ses courbes, évoque une géographie naturelle, alors nous la jalonnons de bosquets libres. Ici, la palette est plus méditerranéenne, plus « naturaliste ».

 

Comment abordez-vous la richesse patrimoniale du centre-ville ?

M. D. : Le périmètre concerné est intégré dans une Aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP). Nous identifions ainsi des espaces homogènes et courants qui n’ont rien de particulièrement remarquable et des espaces qui par leur morphologie, leur histoire, leur architecture, sont singuliers.

La requalification de l’ordinaire, qui représente l’immense majorité des travaux, exige une haute qualité de traitement. Les espaces courants méritent la plus grande attention. Ce souci du commun justifie d’autant des interventions différentiées sur les espaces singuliers. De toute façon, face aux monuments remarquables, le manque de retenue est un contresens. Il faut faire preuve de modestie pour ne pas polluer une beauté patrimoniale qui se suffit à elle-même.

(Crédit de la photo en une : Vincent Mercier et Studio Tangram)

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